Aujourd’hui, cela fait un mois. Un mois que j’ai murmuré, à peine intelligiblement, ce que je ressentais depuis longtemps, mais sur lequel je n’ai appris à mettre des mots que récemment. Pour ça, je remercie Twitter. Vraiment. À la fois pour l’ouverture d’esprit des gens que j’y fréquente, mais aussi pour toutes les informations sur la transidentité que j’ai pu y ingérer.

Suite à cet article (que vous pouvez trouver ici), j’ai eu quelques réactions et quelques messages, le tout très positif. Pas un mot de travers, pas un message désagréable ou mitigé. Plusieurs personnes m’ont dit de ne surtout pas hésiter à les reprendre si elles me blessaient par inadvertance. D’autres se sont excusées de m’avoir mégenré-e jusqu’ici. J’ai même reçu des voeux de bonheur, tout plein. J’ai beaucoup de chance, mais je savais d’avance que cela se passerait bien. Pour une raison simple : je ne me suis dévoilé-e que sur Twitter. Là où je sais que les gens qui me suivent sont vraiment ouverts. Je n’ai pas l’intention de le faire, mais les choses se seraient sans doute passées différemment si j’en avais parlé à ma famille ou à mes collègues.

Pour revenir à l’article, il semblerait que le message initial ait été mal interprété. Sans doute est-ce la faute des mots choisis, mais le résultat est là. Beaucoup ont pensé qu’il s’agissait là d’un coming out de femme transgenre. En vérité, pas tout à fait. Ou plutôt, pas tout le temps.

Je vais donc tenter d’éclaircir ce point, puis je vous parlerai de ce que ces aveux à moi-même ont eu de positif/négatif sur ma vie.

Le neutre noie

D’abord, vous avez sans doute remarqué ce “-e”. Qu’est-ce que c’est ? Pour celleux qui savent, cette partie risque de ne rien vous apprendre. Pour les autres : il s’agit d’un accord neutre. Les accords neutres ont de ça pratique qu’ils peuvent avoir plusieurs significations. La première, c’est celle de ne pas laisser le masculin l’emporter systématiquement et donc d’utiliser une grammaire dite inclusive. En gros, dans un groupe mixte, plutôt qu’accorder systématiquement au masculin s’il y a au moins un homme, on va également mettre l’accord féminin, dans un but de visibilité.

Lorsqu’on parle d’un-e individu-e en particulier, l’accorder au neutre permet de souligner le fait qu’on ne connaît pas son genre. On ne sait pas, alors plutôt que de mégenrer, on utilise le neutre. D’autres personnes encore s’accordent au neutre car leur genre n’est ni masculin ni féminin et que ces accords les gênent pour des raisons qui leur sont propres. Dans mon cas, par exemple, ce neutre peut être interprété comme un refus de préciser la terminaison d’un mot, et donc mon genre, pour la simple raison que ce dernier change régulièrement. Il me semble donc plus pratique et moins blessant pour moi-même d’agir ainsi, du moins sur l’espace public. Après, j’avouerais aisément que tout ceci n’est pas une science exacte. Il m’arrive de m’accorder au féminin en public lorsque l’envie est plus forte que la raison. Auquel cas j’essaie de m’écouter, pour ne pas me faire de mal inutilement.

Par le passé, j’ai expérimenté l’absence total de marque de genre. Je pensais que cela me conviendrait. Je tournais alors mes phrases différemment pour contourner les choses, comme j’ai pu le préciser dans l’article précédent. Je me suis vite aperçu-e que cela rendait la communication contraignante, mais aussi terriblement blessante. J’ai été amené-e à le faire car je n’assumais pas ce que je suis, mais j’ai vite eu l’impression de me cacher. C’est finalement par honte que j’agissais, que je me torturais. Des barbelés m’enchaînaient, m’écorchaient à chaque mouvement et je me les étais moi-même infligés. Alors, très vite, j’ai fini par abandonner cette idée.

Métamorphe

Pour revenir sur le plan (oui, je suis rigoureux-se), beaucoup ont cru que l’article visait à me faire reconnaître en tant que femme trans’. Et non, même si, avec du recul, cela pouvait y faire penser. Je ne sais pas exactement ce que je suis, mais je sais ce que je ne suis pas. Je ne suis pas un homme, mais je ne suis pas non plus une femme. Pas tout à fait en tout cas, pas tout le temps, pas entièrement. J’ai longtemps cru être genderfluid (dont le genre varie), avant de remarquer que le féminin me suivait toujours à la trace, comme une ombre, même les jours où mon genre n’y correspondait pas. Plus tard, j’ai découvert le terme demifluid qui regroupe, entre autre, le fait de se reconnaître en partie dans un genre, et d’avoir une autre partie fluide. Cela me correspond déjà mieux. Mais alors… pourquoi ai-je du mal à m’accorder au féminin ?

Je ne supporte pas que l’on m’appelle “monsieur” ou “garçon”, cela me ramène systématiquement à ce corps que je hais. Les “madame” dans la rue, quant à eux, me font sourire, mais me ramènent à la triste réalité : mon visage ne renvoie pas à la norme féminine. Les personnes me nommant madame sont des gens m’entrevoyant et se basant sur la longueur de mes cheveux et mon visage imberbe. Par contre, lorsqu’un-e ami-e me dit qu’à ses yeux, je suis une fille, cela me fait plaisir. Vraiment. Même si ce n’est pas toujours vrai, ça montre que je suis accepté-e tel-le que je suis. Et c’est important.

Tout ça n’est pas très logique. Ou peut-être l’est-ce un peu trop. Se sentir légitime à sortir de la norme est plus difficile que je ne le pensais. Il s’agit d’un bourbier sinueux vous ramenant à lui au moindre faux pas. À l’oral, j’utilise souvent le masculin, par habitude. Il ne me convient pas, mais en sortir m’est difficile. Les rares jours où j’ose utiliser le féminin, l’entendre de la bouche d’autres me donne une drôle de sensation. M’énerve, même. Une voix dans ma tête me dit que cet accord ne devrait pas être, qu’il est stupide, que je ne le mérite pas, que je ne peux pas le recevoir, que je suis sale, que je suis un monstre. Précisément ce que reprochent les transphobes, au final. Suis-je transphobe, alors ? Et, ces mêmes jours, le masculin me blesse. Que faire ? Persister, jusqu’à ce que mon cerveau accepte le féminin sans grimacer ? Ou me contraindre à forcer un sourire indéfiniment ?

Je ne sais pas vraiment où j’en suis et je n’ai pas la réponse à ces questions, mais accepter les accords neutres est un début et me fait du bien. Cela m’apporte le peu de visibilité dont j’ai besoin pour ne pas me détester davantage, pour cesser de me lacérer. Ça peut vous sembler dérisoire, mais ce cap a été une montagne à franchir. Assumer ce que je suis en dépit de la honte est un pari douloureux. Tout ceci n’est pas vide de contradictions, ne serait-ce qu’avec le fait que je ne m’accorde pas au féminin. Je ne sais pas. Qu’importe. Si cela m’aide à me sentir mieux, ne serait-ce qu’infiniment peu, cela en vaut la peine.

Pour celleux que les termes genderfluid et demifluid font sourire car iels les trouvent ridicules, sachez que ce n’est plus mon cas. La notion de genre est quelque chose que j’ai eu beaucoup de mal à assimiler au début, car la différenciation des individu-e-s au simple critère du sexe est quelque chose que l’on apprend très tôt. Quelque chose que l’on grave dans nos crânes et dont il est impossible de sortir totalement. Je suis passé-e par diverses phases. Celle de l’ignorance totale. Celle où le concept me parut absurde. Celle où je tolérais sans vraiment comprendre. Et maintenant celle-ci. Le genre me paraît bien plus juste, pour tout un tas de raisons. Ce n’est pas le sujet, alors je n’épiloguerai pas, mais les termes sont compliqués car les réalités humaines qu’ils recouvrent le sont. Ils permettent d’exprimer, en un mot, un concept. Un ressenti. Qui peut être difficile à vivre, selon la personne, surtout lorsqu’il ne correspond pas à la norme. Cette norme que je répète sans cesse, car elle est omniprésente. Plutôt que de trouver les mots ridicules, demandez-vous pourquoi ils sont utilisés. Il y a fatalement une raison derrière. Et nier le tout en bloc est violent, même si l’on ne s’en rend compte que plus tard.

Pour vous en parler un peu, la fluidité que je vis m’est imprévisible. Les genres pleuvent et s’évaporent, à des vitesses qui me semblent aléatoires. Comme de longues courbes de tailles variables défilant sous mes yeux.  Il m’arrive de me sentir fille quelques minutes, parfois quelques mois. Il arrive qu’un genre prenne le pas sur un autre sans pour autant le faire disparaître. Que deux se mélangent : parfois que l’un prédomine, parfois qu’ils se valent. Les genres ne sont pas toujours ressentis de la même façon non plus, n’ont pas toujours le même sens. Il m’arrive de me sentir, rarement, garçon. Souvent, fille. Parfois neutre, parfois rien. Parfois plusieurs choses ensemble. Mais ces mots, “garçon”, “fille”, “neutre”, ne sont que ceux qui me semblent le plus proches de ce que je ressens. Il n’est pas possible de résumer la fluidité en une répartition égale des quelques genres que l’on traverse, pas plus que les mots ne suffisent à décrire précisément les genres concernés. C’est en ça que l’accord neutre m’est vraiment pratique : ne pas occulter une partie de mon ressenti actuel.

Évolutions

Comme promis, je finis par un bilan de ce qui a changé depuis, même si ce format est très scolaire. Outre l’accord qui s’est imposé de lui-même, c’est un ultimatum que je me suis infligé-e. Le dire, c’est se couper la possibilité de revenir en arrière. C’est s’empêcher de tout refouler, comme j’aime le faire quand la dépression me dévore. Aujourd’hui, je n’ai plus le possibilité de tout nier en bloc, d’enfermer ces ressentis dans une boite que je cacherais entre deux sourires. Je suis comme ça. Je l’ai dit. Et comme je ne suis plus seul-e au courant, je ne peux l’effacer. Peut-être devrais-je arrêter de considérer ça anormal. J’aimerais bien. Mais la société et ce qu’elle a fait de pire me répètent sans cesse que je suis une immondice informe, résultant d’une maladie. Cet ultimatum est une bonne chose car il m’aide à combattre. Vraiment.

Depuis, je m’assume un peu mieux. Cela a permis d’ouvrir le dialogue. Mon entourage est réceptif et me demande, souvent, si je préfère tel pronom un jour donné. La réponse est souvent non, car je n’ose pas, mais l’intention est douce. Dans l’ensemble, il est attentionné et évite soigneusement les mots qui pourraient blesser. Cela passé, je ne crois pas que mon statut ait changé à leurs yeux. Comme si cela n’avait aucune espèce d’importance. Ce n’est sans doute qu’une impression, mais elle est agréable. Je me sens comme enveloppé-e d’une bulle rosâtre. Physiquement, très peu de choses ont changé. Une mèche symbolique. Un bracelet, parfois. Des artifices qui paraissent dérisoires et que presque personne ne perçoit, mais qui me font me sentir bien. J’aimerais en faire plus, mais je n’ai pas l’énergie. Pas encore. Me tendrez-vous la main lorsqu’il sera temps ?

Si des questions vous démangent et que vous n’osez pas les poser car vous avez peur de dire une bêtise, de déranger ou autre, n’hésitez plus. Vous pouvez venir. Vraiment. On ne me dérange jamais. Si vous faites une erreur par mégarde, je ne vous en tiendrai pas rigueur. Les non-dits creusent et les abîmes ne se referment pas.

J’ai tendance à avoir peur de ce que peuvent en penser celleux d’entre-vous qui m’ont lu-e, m’ont déjà croisé-e en dehors de Twitter mais ne se sont pas exprimé-e-s. Je crains de vous revoir et de ce que vous pourriez en dire. De ce que vous en pensez vraiment. Des personnes à qui vous avez pu le dire. Si certaines personnes que je fréquente sont au courant mais que je ne le sais pas.

Si vous n’avez pas de problème avec tout ça, je vous encourage à vous manifester. Nos relations n’en seront que meilleures et je me sentirai serein-e pour la suite.

Du reste, me voilà sorti-e du placard, je m’y sentais à l’étroit. J’ai peu de choses à ajouter. Parfois, je serai il. Parfois iel. Parfois elle. Parfois rien. Mais je ne me cacherai plus. C’est sans doute un début pour aller mieux.Metamorphe