Ce texte est la première version de la biographie d’un personnage, Elvin, entrant dans un univers d’abord pensé pour être celui d’un jeu vidéo. Ce dernier n’a pas encore vu le jour, mais je me suis attachée à ses personnages et ai tenu à les développer un peu. Cet extrait est court et sera sans doute amené à être allongé et reformulé, mais je vous le fais tout de même partager. Bonne lecture !

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Mes parents m’ont donné le doux nom d’Océane, en référence à la vaste étendue d’eau dont ils sont nostalgiques. Un nom qui, vous me le concéderez, ne convient pas à un garçon aux yeux de la société. Alors j’ai changé. Car j’aime le son qu’il produit, j’ai choisi Elvin. L’assemblage des lettres “l” et “v” semble fendre le vent, comme un large coup d’épée lancé dans le vide et très agréable à mes oreilles.
Mais le reste de l’éducation de mes parents ne me satisfaisait pas non plus. Ma peau, ma tête, mon corps tout entier refusait cette identité imposée. Comme ils refusaient sciemment de s’adapter par peur de ce qu’en dirait le reste du monde, je suis parti. Au monde, j’ai choisi de prendre soin de moi-même. Je n’avais pas une pièce, ne connaissais pas le monde extérieur, ni ne possédais aucune compétence particulière, mais j’ai fui. J’ai fui jusqu’à l’orée des bois. J’ai couru sans me retourner et me suis senti libre comme jamais auparavant, les quelques instants que cela a duré. La tête baissée et le regard absent, j’ai fini par heurter un obstacle et me retrouver ventre à terre. Quand j’ai ouvert les yeux, j’étais nez à nez avec une dizaine de lourdauds armés. Ces derniers ne m’ont pas laissé le choix du chemin à suivre et m’ont emmené jusqu’à leur campement. Là, l’un d’eux m’a déclaré sa fille. Sa fille ! La relation ne partait pas du bon pied.

Pendant des mois, j’ai obéi. Que pouvais-je faire d’autre sans risquer ma peau ? Je me suis habillé comme l’un des leurs, j’ai appris à me battre comme l’un des leurs. J’ai appris à pêcher, à chasser, et toutes les compétences manuelles qui me faisaient défaut jusqu’ici. C’aurait pu être un magnifique cadeau, s’ils ne me retenaient pas captif. J’ai enfoui ma colère sous une tonne de sourires, durant tout mon séjour. J’ai appris l’histoire de chacun d’eux, enlevés tour à tour à leurs parents par un chef belliqueux. Un chef qui n’était même plus de ce monde. Alors pourquoi poursuivaient-ils cette vie ? Y avaient-ils pris goût ou ne pouvaient-ils plus revenir à leurs anciennes familles ? Avaient-ils encore des familles ? Étaient-ils déclarés morts ? L’étais-je moi-même ? Je n’ai jamais osé leur poser la moindre de ces questions, de peur de prendre un mauvais coup. Je suis resté jusqu’à ce qu’ils kidnappent un nouvel enfant. Une fille. La première. Cette nouvelle proie à ronger a endormi leur méfiance. Ils me considéraient enfin comme l’un d’eux. J’ai saisi ma chance.

Une nuit, alors que tous dormaient, je me suis levé. J’ai brisé le silence, d’abord du craquement des brindilles sous mes pieds nus, puis de soupirs étouffés. Après une dizaine de râles, le calme est revenu. La gamine, à son réveil, s’est enfuie en hurlant. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était passé, ni même d’où elle était. Je n’ai pas cherché à la rattraper. Elle me prenait sans doute davantage pour un assassin que pour un sauveur. J’ai espéré quelques jours qu’elle retrouve sa maison sans encombre, puis à m’occuper de ma propre existence, j’en ai oublié la sienne. Pour ne pas être inquiété, j’ai dissimulé les corps. J’ai camouflé les chairs, bouchée par bouchée, puis ai enterré les os sous une souche d’arbre. De nouveau, j’étais seul, et je retrouvais ma liberté. Qu’allais-je pouvoir en faire ?

Foret