Le vendredi 22 Avril 2016, une simulation d’attentat a été effectuée à l’école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de La Roche-sur-Yon (Vendée). Les faits ont été relatés synthétiquement par le journal Ouest France (cliquez ici). Suite à l’une de mes interventions sur le sujet, une personne, qui a vécu cette simulation d’attentat en direct et qui restera anonyme, m’a fait part de son témoignage.

_________________________________

Je suis en M1 Professeur des Ecoles à l’ESPE de la Roche-Sur-Yon, cet « exercice » a eu donc lieu dans ma mini fac. Nous sommes une promo d’environ 80 élèves en M1, et cet après-midi-là, nous avions tous cours. On venait de passer les écrits de notre Concours, et nous étions tous un peu fatigués, d’autant plus que l’on se prépare également pour les oraux qui ont lieu dans un mois.

Nous avions reçu une première visite de la fameuse équipe policière qui nous a fait passer cet exercice, il y a quelques semaines. On nous avait donc déjà expliqué les procédures à adopter en cas de véritable attentat (c’est-à-dire le confinement, etc), les attitudes à avoir, etc. Quelques jours avant l’exercice, nous avions reçu un mail indiquant un exercice « prévention attentat » dans la semaine, sans nous préciser le jour (bien que je dois l’avouer, il n’y avait d’autre possibilité que le vendredi, puisque nous n’avions pas cours la veille), ni l’heure. J’avoue que j’étais très fatiguée après le concours, j’avais donc lu l’intitulé du mail sans l’ouvrir non plus.

Il était donc 14h30 ce vendredi-là lorsqu’on entendit des coups de feu dans le couloir. J’ai cru au préalable qu’il s’agissait de pétards avant de comprendre qu’on tirait vraiment à l’extérieur de la salle de classe. J’ai levé la tête vers les lucarnes qui se situent en haut des murs de nos salles de classe, donnant vue sur l’intérieur du bâtiment, et j’aperçus une paire de bottes et une arme semblable à une kalachnikov, tirant (à blanc, bien entendu !) à répétition dans le couloir. Nous ne réagîmes pas tout de suite, abasourdis par le spectacle qui se déroulait sous nos yeux. Je n’ai pas cru à un véritable attentat, et j’ai fait assez rapidement le rapprochement avec le fameux email que nous avions reçu quelques jours auparavant, mais ce ne fut pas le cas de plusieurs de mes camarades (ce que je comprends tout à fait étant donné le réalisme de la situation). Neuf coups retentirent. Et je confirme, même tirés à blanc, des coups de feu, ça fait énormément de bruit. Pour vous expliquer combien la situation est perçue différemment selon les personnes, certains crurent que quinze coups avaient été tirés. D’autres trois. Certains entendirent l’homme grimé en terroriste hurler tout en tirant. Je ne l’ai même pas perçu. D’autres virent qu’il portait une casquette. J’avoue n’avoir pas enregistré tous ces détails, seulement l’essentiel. L’exercice a paru très long pour certains, très court pour d’autres.

On éteignit les lumières et on se planqua contre le mur, d’autres se cachèrent sous les tables, certains eurent l’idée de pousser les tables contre les portes, et bien sûr, de les fermer à clé. Et on se tut, garda le silence. A noter que certaines personnes dans ma classe ignoraient pendant ces cinq minutes qu’il s’agissait d’un exercice, d’autres commençaient à en douter devant le réalisme de la situation. Au bout de plusieurs minutes, on frappa à la porte. On était tellement pris dans l’exercice qu’on hésitait franchement à ouvrir : et si c’était un piège ? La police finit par ouvrir la porte, nous disant que l’exercice était terminé et qu’on pouvait se rasseoir à nos tables. Une alarme signifiant la fin de l’exercice avait retenti, mais je ne l’avais pas entendue, comme beaucoup d’entre nous. Les lumières se rallumèrent et les cloisons amovibles des salles de classe furent retirées, nous retrouvant donc à 80 tous ensembles. De loin je pus apercevoir une de mes professeures, semblant visiblement très ébranlée, le visage pâle. J’appris un peu plus tard qu’elle n’était pas au courant de l’exercice, et qu’elle avait en réalité les larmes aux yeux.

L’équipe policière, comprenant notamment le commissaire de la ville, le procureur de la république, la directrice de l’ESPE (visiblement ébranlée elle aussi), le préfet, ainsi que le responsable du pôle sûreté du campus, entre autres, firent irruption dans la salle, visiblement détendus (hormis la directrice de notre fac, donc), le rire facile. Ils ont affirmé par la suite que l’ambiance était particulièrement détendue : en réalité, ils étaient bien les seuls à l’être. Une personne de ma classe commença à protester, leur demandant s’ils se rendaient compte de ce qu’ils venaient de nous faire subir, mais ne put se faire entendre, d’autant plus qu’ils commencèrent à prendre la parole. Voilà pourquoi « personne ne s’est déclaré choqué » comme ils l’affirmèrent par la suite. La plupart d’entre nous étions hébétés, n’osaient pas forcément dire quoique ce soit devant des personnes qui étaient tout de même réellement haut placées. Et ceux qui avaient souhaité se plaindre avant le début du débriefing n’avaient pas pu le faire, je suppose. Je précise que personne ne nous a d’ailleurs demandé d’emblée comment nous nous sentions.

Les membres de l’équipe policière commencèrent alors à nous féliciter (ou plutôt à se féliciter eux-mêmes) : nous avions eu de très bonnes réactions et ils étaient impressionnés. Nous avons parfaitement respecté les mesures de confinement (en même temps, les volets étant fermés, dû au faux prétexte de « maintenance », nous n’avions pas vraiment d’autre choix, hormis celui de se jeter devant le terroriste dans le couloir), étions restés calmes etc. Ils commencèrent à nous applaudir, et nous fîmes de même par mimétisme, un peu abasourdis, ne sachant pas trop quoi dire.

Le fameux « débriefing » commença. Ils dirent d’abord, sur le ton de la rigolade (mais quelle bonne blague !) qu’ils avaient songé à nous filmer pour voir nos réactions et qu’ils auraient posté ensuite la vidéo sur youtube : elle aurait eu sûrement de nombreuses vues ! Personne ne rit. On apprit que l’exercice avait été décidé il y a plusieurs semaines, et qu’ils avaient tout prévu pendant nos semaines de révision. Vérifié que le bâtiment était insonorisé, pour que le reste du campus ne soit pas pris de panique en entendant les coups de feu. Placé des membres de la police dans les environs de l’espe pour vérifier qu’il n’y aurait pas d’irruption ni de sortie intempestive du bâtiment, sous le coup de la panique. Ils étaient également très fiers d’avoir prévu des ambulances en cas de malaise. D’ailleurs, si quelqu’un se sentait mal, il pouvait s’y rendre dès maintenant. Je pense que ceux qui se sentirent concernés n’osèrent pas forcément lever la main, d’autant plus que les cellules médicales se déplacent habituellement lors de véritable attentat : ce n’est pas à vous de vous déplacer.

Bref, ils le répétaient en boucle : tout avait été prévu pour notre sécurité. Ils avaient en outre demandé à ce que les volets soient fermés la veille pour que nous nous ne blessions pas en tâchant de nous échapper par les fenêtres : elles étaient de toute façon incassables (ce que nos professeurs ignoraient d’ailleurs : ils ont demandé par la suite des clés des fenêtres pour pouvoir nous échapper en cas d’incendie par exemple). En gros, ils avaient pensé à notre intégrité physique, mais pas vraiment à notre intégrité mentale (bien qu’ils avaient prévu une ambulance). Mais ça n’avait pas l’air de les déranger. Lorsque l’un des membres de l’équipe (ils devaient être une bonne vingtaine à s’être déplacés) demanda qui avait vraiment cru à une attaque, un peu plus d’une vingtaine de mains se levèrent (et non pas cinq ou six, comme ils l’ont affirmé par la suite). « Ah oui d’accord », dit-il, sans paraître plus ébranlé que ça. Il nous demanda également si certains d’entre nous avaient essayés de joindre nos proches, de leur envoyer des sms, de les appeler. La réponse était non : tout était allé beaucoup trop vite (et nous n’avions pas tous cru à l’attentat, il faut bien le dire). De toute façon, même si nous avions essayé de le faire, cela n’aurait pas marché : ils avaient brouillé les ondes.

Ce qui me gêne le plus, c’est qu’ils s’attendaient donc tout de même à ce que certaines personnes croient à la situation, et même à ce que certaines personnes soient au bord de l’évanouissement… et cela ne semblait pas les déranger plus que ça. C’était pour « le bien commun ». L’un d’entre eux ajouta : « avec le mail que l’on vous avait envoyé, on s’était dit que si vous n’étiez pas trop bêtes, vous alliez vite comprendre qu’il s’agissait d’un exercice ». Rires jaunes.

Un membre de la police, celui qui s’était grimé en terroriste et avait tiré dans le couloir se présenta alors. Il nous présenta également son arme, n’hésitant pas à pointer l’arme sur nous en démonstration. Il s’agissait d’une véritable arme, qu’il avait chargée à blanc, très semblable à celle que les terroristes employaient. Et il précisa alors, toujours sous le ton de cet humour très particulier : « Heureusement que vous n’avez pas essayé de vous enfuir : vous seriez passés devant moi, je vous aurais tiré dessus sans hésiter ». Sympathique. Ce qu’il voulait dire, c’est qu’un terroriste n’aurait pas hésité à nous tirer dessus si nous étions passés devant lui, leur objectif étant de faire le plus possible de morts. Quelle délicatesse. Quelques exclamations eurent lieu dans notre public, mais nous n’avons rien osé dire. Je pus voir les visages de mes camarades. Choqués pour la plupart d’entre nous, en colère pour d’autres. Il nous conseilla également de ne pas regarder un terroriste dans les yeux, comme certains d’entre nous l’avions fait : un terroriste nous aurait immédiatement descendu. On apprit ensuite qu’un exercice plus long avait été prévu au départ. Qu’il devait durer normalement une demi-heure à une heure, qu’ils avaient songé à nous attaquer par l’extérieur, avec des déguisements redoublant de réalisme, des grenades fumigènes, une prise d’otage. L’espe leur avait déconseillé un tel scénario et ils s’étaient rabattus sur une situation de 5 minutes (rendons-nous compte de notre chance !) au dernier moment.

Le débrief dura une vingtaine de minutes. Après une nouvelle salve d’applaudissements et d’autres rires, ils partirent. Les cloisons furent rabattues, les cours reprirent. Mais il nous était pratiquement impossible de travailler, et nous eûmes droit à quelques minutes de pause.

Durant le week-end, nous reçûmes plusieurs mails de professeurs indignés, qui s’excusaient du traumatisme que nous avions subi. Certains étudiants de ma promo ont fait des cauchemars ce week-end-là, comme vous pouvez vous en douter. Je n’en ai pas eu, mais j’avoue avoir sursauté plusieurs fois dans la journée, étant devenue hyper-sensible à tout bruit suspect. Ce fut le cas pour mes camarades. Beaucoup d’entre nous ressentirent les effets de ce qu’on appelle le stress post-traumatique, bien que l’équipe policière ne semble pas l’envisager. Pourtant, comme nous l’a rappelé une de nos professeurs, « ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas que ça n’existe pas ».

Le lundi suivant, les professeurs nous reparlèrent de ce qui s’était passé. La quasi-totalité d’entre eux ignoraient totalement la nature réelle de l’exercice, et avaient reçu l’interdiction formelle de nous en parler (bien qu’ils aient hésité à le faire). Ceux qui n’avaient pas lu le mail en question avaient appris la nouvelle cinq minutes avant le début de l’exercice. Une autre ignorait qu’un exercice allait avoir lieu. Une cellule médico-psychologique avait été appelée. On apprit également que tout le campus avait été mis au courant de la situation, du lieu et de l’heure de l’intervention, pour éviter à nouveau toute forme de panique. Nous étions les seuls à ignorer l’heure à laquelle l’exercice allait se dérouler. Notre mini-fac avait été choisie, car ils auraient eu peur de débordements à l’espe de Nantes (située dans la même région), beaucoup plus grande que la nôtre. Nous avions la désagréable impression d’avoir été pris pour des animaux de laboratoire, ou pour des cobayes si vous préférez (terme que les membres de l’équipe policière avaient d’ailleurs employé, il me semble, pour s’excuser de la frayeur qu’ils nous avaient peut-être fait ressentir). Pire encore, on apprit que l’exercice avait été pensé à la base pour une école. J’ose imaginer la réaction d’enfants dans ce genre de situation et le traumatisme subit. Par la suite, notre professeur appela un journaliste du journal Ouest France pour qu’il nous interviewe. Nous fûmes également invités à remplir un registre de la cellule médico-psy du campus, à envoyer le plus de courriers possibles pour qu’un tel exercice ne se reproduise plus, ou du moins dans des circonstances bien différentes. Et j’espère que relayer ce qui s’est passé pourra au moins changer les choses, ne fût-ce qu’un minimum. Même si j’en doute parfois.

Je voudrais rajouter qu’un membre de la direction de l’université a dit à un élève « vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez eu ! ». Très sincèrement, je ne pense pas que l’exercice ne nous ait préparés à quoique ce soit… on ne guérit pas la peur par la peur, et là nous étions uniquement responsables de nous-mêmes… Ils veulent nous préparer en tant que futurs professeurs des écoles mais l’exercice aurait totalement été différent avec des enfants à charge, qui auraient pleuré etc. Sans compter que leur méthode de confinement aurait fonctionné cinq minutes, un terroriste aurait frappé en bas des murs, car je crois que les kalachnikovs peuvent percer un mur. Un membre de la police nous a dit qu’il fallait se réfugier derrière un mur en parpaing, encore faut-il savoir reconnaître un mur en parpaing. Dans le cas d’un vrai attentat, ils auraient appelé la BRI, qui aurait mis des heures à arriver, venant de Paris et on serait déjà tous morts… Tout cela pour dire qu’en plus d’un exercice traumatisant pour beaucoup, il s’agissait d’un exercice que j’estime peu utile. Je ne me prends pas pour une justicière ni quoique ce soit. Je n’ai pas été la plus traumatisée par l’exercice, même si j’ai été tout de même secouée. J’ai pourtant assez de jugeote pour voir l’effet qu’il a eu sur la plupart d’entre nous, et j’en conclue que c’est la preuve qu’il s’agissait d’une très mauvaise idée. A l’état de prendre les mesures nécessaires pour laisser tomber ce genre d’exercice, ou en modifier profondément les conditions de réalisation.

fear