Mon enfance, c’est un drôle de bordel. D’un côté, il y avait l’école. J’en tremblais de chaque membre tous les matins, avant de prendre le bus. Le collège, c’était horrible. Pire que la mort. On me crachait dessus, on me tapait dessus, on me collait des chewing-gums dans les cheveux, on me mettait des coups de briquet sur le corps. Dans mon groupe “d’amis”, deux s’en foutaient de tout, l’autre était souvent sympa, mais parfois me tapait sans raison et je n’avais pas le droit de riposter sous risque de m’en prendre une autre jusqu’à ce qu’il ait le dernier mot.
Et il y avait la maison. La maison, c’était deux ambiances. Le paternel, faussement amical la journée, alcoolique violent le soir. Enfin, alcoolique le soir, violent c’était tout le temps. J’en ai pris dans la gueule pour toutes les raisons du monde.
Gamine, je me bats contre des monstres imaginaires sur la pelouse ? “T’es vraiment qu’une pauvre débile.”
J’ai une mauvaise note ? Une grande claque dans la gueule.
Je fais tomber un verre ? Une grande claque dans la gueule.
Je me bats avec mon frère ? Une grande claque dans la gueule.
Mon frère fait semblant de pleurer ? Une deuxième grande claque dans la gueule.
Je me fais virer du lycée pour vol à l’étalage ? Un grand discours cérémonieux avec mère en pleurs et père strict et sévère me disant que je suis un cas désespéré.
Voilà, c’était ça mon père. Et je vous parle pas des fois où il est rentré en voiture avec mon frère à l’arrière, tellement ivre mort qu’il était incapable de marcher ni d’aligner deux mots. Ma mère en pleurs dans la salle de bain et moi, ado, au milieu de ça.
Ma mère, d’ailleurs. Elle, c’était mieux. BEAUCOUP mieux. Déjà, elle me protégeait. Beaucoup. Quand je mentais, elle couvrait mes mensonges auprès de l’école et de mes camarades. Puis physiquement aussi, des coups de mon père. Elle en a jamais reçu, je crois. J’espère sincèrement. J’espère tellement. J’ai jamais osé demander. A côté, elle était un peu dans le déni, je crois. Quand je disais que j’allais appeler les numéros d’enfance battu, elle poussait ça du revers de la main en me disant que je n’aurais nulle part où aller et me faisant comprendre en filigrane que je n’étais pas vraiment une enfant battue. Elle aimait bien m’espionner, elle. Je l’ai parfois trouvée cachée dans mon placard ou derrière mon lit pendant que j’étais en crise. Et elle sortait en rigolant. Lire les mots dans mon sac aussi, pis mon courrier.
Globalement, dans les deux cas, jamais de discussion sérieuse. Pour l’amour. Pour le sexe. Pour les capotes. Pour les envies de mourir. Pour les tentations de la drogue. Rien. Plat. PLAT. PUTAIN DE PLAT. TOUT.
La nuit, je dormais rarement très bien. Je me couchais tard, toujours fourrée sur internet à m’inventer des vies auprès de chaque ami virtuel. Le matin, je m’endormais dans la douche. Puis parfois, je pensais. Beaucoup. Je chialais, serrée contre mon traversin. Je me caressais un rasoir contre la peau.
Et parfois, en pleine nuit, vers quatre heures du matin, je me réveillais. Je restais quelques minutes dans le silence de la maison, à moitié couchée à moitié levée. Puis une fois assurée que tout le monde dormait, je me rendais dans la cuisine, prenais un couteau et traversais le long couloir jusqu’à la chambre de mes parents. Je restais là, dans l’obscurité, lame à la main, à l’angle du couloir menant à leur chambre dont ils ne fermaient jamais la porte. J’attendais. De longues secondes. Très longues secondes. Puis je retournais me coucher.
Ca, c’étaient les nuits calmes.