L’hôpital psychiatrique. On ne m’a pas tellement laissé le choix. Mais au-delà de comment ai-je fini par y mettre les pieds, la question est surtout de savoir l’état dans lequel ont fini lesdits pieds, une fois sur place.
Une goutte de plus dans l’océan, pour dénoncer principalement. Qu’on s’entende, si ce texte vous fait vous sentir moins seul-e, de savoir que d’autres savent : cela me convient. Mais aussi pour les autres. Celleux qui ne savent pas. Celleux qui doutent. Et cette information est nécessaire. Nécessaire pour combler les doutes de ce qui s’y passe. Nécessaire pour comprendre que les prisons et hôpitaux psychiatriques ne sont pas là pour protéger la population des fous et des délinquants, mais l’état de ce qui l’effraie.
[Pour les personnes s’apprêtant à lire ce qui suit, une mise en garde : le texte contient des mentions de maltraitance médicale, viol, violence physique]
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Août 2020. Les semaines précédentes ont été très difficiles. J’ai perdu mon amour. J’ai perdu mon logement, aussi. Deux fois. Puis dans le nouveau, ça a été compliqué aussi. Deux santés mentales fragiles en espace clos. Quand elle a fini aux urgences, j’ai attendu la nuit dans la salle d’attente, parfois à fumer devant le pavillon. Et là, ce connard est apparu et il s’est passé ce qui s’est passé. Rien pour arranger mon état. Quand je suis revenue rendre visite à mon amie quelques jours après, j’étais en détresse. J’ai demandé à voir un médecin des urgences, pour leur expliquer. Grosse erreur. J’ai dit “pas l’hôpital psychiatrique”, mais elle avait déjà fait son choix. Consentement libre, qu’elle a dit. Parce que si vous ne signez pas, c’est internement de force. Internement, dans tous les cas, mais de force rend la sortie plus difficile. J’ai dit “tout sauf l’hôpital V.”, elle a choisi le V. J’ai dû signer. Bande de chiens.
Me voilà donc dans un service en petit comité, où je découvre l’intérieur des murs qui me faisaient peur. J’ai repris le tabac, on n’avait rien d’autre à faire de toute façon. De la musique, des clopes, puis… le reste, je vais vous raconter.
Moi, j’étais la sage. Discours sans confusion, pas de colère visible, pas de fortes crises, pas besoin de faire débarquer les soignantes en pleine nuit : rien qui ne puisse m’être reprochée après. C’est comme ça que j’ai pu sortir rapidement. Mais même malgré ça, le premier truc que j’ai appris, c’est que les soignant-e-s ne sont pas des soignant-e-s. Quand vous êtes fol, votre souffrance devient factice. Les autres l’ignorent totalement. Qu’il s’agisse de douleur physique ou mentale : tout sera mis sur le compte de votre folie. C’est dans votre tête. Et si c’est dans votre tête, on s’en fout. J’ai fait une crise d’angoisse, sur la terrasse. Mes camarades m’ont amenée au bureau des soignant-e-s et ont parlé pour moi. J’étais sur le sol, devant leur porte ouverte, pendant qu’ils prenaient leur café. Ils n’ont rien dit, rien fait, pas réagi. Alors les camarades m’ont ramenée dans ma chambre… et se sont fait réprimander par la suite pour cette raison. Interdit d’entrer dans la chambre d’un-e autre patient-e. Cette blague.
Ça s’est produit plusieurs fois, aussi, en dehors de l’hôpital. Le samu qui m’a dit de prendre un anxiolytique quand j’ai appelé pour une suspicion d’AVC. La médecin qui m’a retiré mon traitement médicamenteux pour maladie héréditaire car elle pensait que j’inventais tout. L’assureur de la banque, même celui spécialisé pour les malades, qui a refusé notre dossier car nous sommes malades mentaux. Alors tu apprends à mentir. Si tu finis aux urgences, tu supplies, tu dis que c’était impulsif, que tu voulais juste dormir, que tu ne veux pas mourir, que tout va mieux et que ça ne se reproduira pas. Tu leur mens droit dans les yeux. Et si tu as de la chance et de la persuasion, tu t’en sors. Et on nous demande pourquoi on refuse le dossier médical partagé ? Vous l’avez, votre réponse.
Comme je disais, on a fumé, beaucoup. Ronan*, le premier jour, il était seul. Il parlait pas beaucoup, il mangeait plus. On a fini par devenir bons potes. Il me passait des clopes, je le maquillais, on se faisait découvrir de la musique. Et il a fini par venir manger avec nous. Thea*, quand elle a rejoint le service, elle ne sortait que pour fumer, dans un coin, et elle partait. Un jour, j’ai réussi à l’interpeler, lui faire comprendre que sa particularité, qui la faisait probablement s’isoler, je l’avais aussi. Que les autres patient-e-s étaient cools. Que ça se passerait bien. Qu’elle pouvait venir. On a finit par devenir bonnes potes, aussi. Le genre de pote à faire beaucoup de câlins. On a même couché ensemble, une fois, après la ronde des soignants. Elle ramenait de la weed en cachette, ça rappelait un peu la liberté. Et comme ça, chacun-e à notre manière, on essayait de s’aider entre-nous. Car on savait que personne d’autre ne le ferait. Surtout pas les “soignant-e-s”.
Et on va y venir. Parce qu’à l’exception du cuisinier, on aurait pu vivre en autonomie là-dedans. Aider, iels ne faisaient pas, même si l’incident était sous leurs yeux. Punir, oui. Si tu dépasses des lignes qu’iels ont choisies. Si tu rentres trop tard de la terrasse, si tu arrives en retard pour le repas, si tu ne manges pas, si tu ne dis pas bonjour, si tu te blesses, si tu demandes trop, si tu ne demandes pas assez, si tu ne préviens pas que tu auras de la visite, si tu as trop souvent de la visite, si tu rentres en retard de ta visite, si ta gueule ne leur revient pas… à peu près tout. Et pourtant, iels partageaient notre terrasse. Iels venaient fumer à côté de nous et essayaient de nous parler comme si nous étions leurs ami-e-s. Et parfois, on se faisait avoir. Quand j’ai parlé de ce qui m’était arrivée dans le pavillon des urgences, l’un d’elleux m’a dit que je l’avais cherché, que ça ne devait pas être si terrible que ça, que tous les mecs n’étaient pas comme ça. Et là, encore, on se rappelle de leur position : on ne peut rien dire. Sinon, punition. La punition, c’est leur anxiolytique à elleux. Et iels le disent. Nous contraindre, ça leur permet de se reposer. Et la punition peut-être lourde sachant qu’elle peut aussi rallonger notre séjour. Alors on mord ses dents. On change de sujet. La rage au ventre.
On est un élément à remettre à sa place. Comme celleux qu’on ne veut pas gérer. Les enfants turbulents, par exemple. Le traitement est le même. On leur hurle dessus, on les frappe, on ignore leurs larmes. Et jamais ce traitement ne devrait être envisageable. Avec personne.
Après, il y a aussi la psychiatre. Je la voyais une fois par semaine. Elle était là, avec sa grosse autorité, et sa fausse sympathie de ne pas être celle sur le terrain. Pas celle qui te frappe. Celle qui donne les ordres, oui, mais ça évidemment on ne te le dit pas. Si t’as appris à mentir, là tu le fais aussi. Surtout là, d’ailleurs. Tu dis que tu vas mieux, que tu as des plans pour ta sortie. N’importe quoi qui a l’air crédible et que tu peux justifier, sur lequel tu peux argumenter. Tu te raccroches à ce que tu peux pour sortir. Vite.
Le soutien, c’est entre patient-e-s. On apprend à cacher aux matons. A gérer entre-nous. A se prévenir. A leur mentir. À faire croire qu’on a besoin de médicaments quand ils sont pour quelqu’un d’autre. Faire semblant d’avaler et se les passer discrètement.
L’ONU. Vous voyez, l’ONU ? Les gens s’accordent à dire que comme organisme, ils ont des chiffres plutôt fiables. Le Comité contre la Torture de l’ONU communique régulièrement sur la situation des hôpitaux psychiatriques français et le mot torture ils l’ont posé. Parce qu’à chaque fois, dans le déni, les gens se disent que c’était avant. Les femmes qui se battent pour leurs droits ? C’était bien avant, aujourd’hui c’est ridicule. Le racisme ? C’était avant, l’esclavage, tout ça. Les hôpitaux psychiatriques ? Ah oui, avant ça avait l’air sordide, dangereux. Non. C’est toujours là. Tout est toujours là. Et il serait temps que vous ouvriez les yeux.
https://www.forumpsy.net/t1277-maltraitance-psychiatrique-en-france-le-comite-contre-la-torture-de-l-onu-denonce-la-psychiatrie-francaise-2016
Nous, on nous enferme. On nous dit dangereuxses, que c’est pour nous protéger de nous-mêmes, puis protéger les autres aussi. Au moindre fait divers, on va creuser dans le passé psychiatrique comme un réflexe. Et si c’est avéré, on va renforcer davantage la sécurité des hôpitaux. Alors on doit faire attention, toujours. Parce qu’on ne veut pas trahir les siens. Les chiffres, ils disent le contraire. Victimes, on l’est davantage. Bourreaux, non.
https://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/03/22/17808-enquete-sur-maltraitance-malades-mentaux (regardez, là, c’est le figaro, comme quoi c’est pas une question de biais à gauche, hein)
Moi, je resterai avec les fols, les survivant-e-s. Parce que je n’ai pas besoin de me justifier, iels savent, iels ont vécu. On nous prend pour des sauvages, je m’en fiche. La médecine, la psychiatrie. Une honte. Vous vous dites soignant-e-s, vous êtes des matons. Et si un jour on me donne l’occasion de vous rendre la monnaie de votre pièce, je n’hésiterai pas une seconde.
* Les prénoms ont été changés