Le bruit sourd est dans ma tête. Peut-être n’existe-t-il même pas. Mais il est là. Le bruit sourd se manifeste telle une surcharge, comme la conséquence d’un surplus d’informations. Mon oreille, d’habitude distraite, vole successivement sur les autres tables du restaurant. Elle se lie à chaque visage, chaque groupe, chaque mot. Elle entend sans écouter, et les conversations n’ont aucun sens.

Rapidement, ces sons se mêlent et forment un mur invisible, tout autour de moi. Ce mur absorbe toute mon attention. Ma table me parle, mais je ne comprends plus. Les bruits se font forts, dérangeants, oppressants. Ma vue se floute, et je ne peux la contenir qu’un temps. Durant ce laps, je découvre tout sous un nouvel angle, je vois tout, des détails qui m’avaient échappés m’apparaissent. Mes autres sens n’existent plus. Le bruit sourd est comme une enveloppe qui cherche à me protéger mais aggrave tout. Je m’efforce de me concentrer pour ne pas totalement disparaître, pour ne pas que cela se voie. Je serre les poings. Je serre les dents. Lorsque mes collègues parlent, j’esquisse un sourire. Comme pour dire, en bonne menteuse, que je comprends. Un sourire peut avoir plusieurs sens et suffire à répondre. Si ce n’est pas suffisant, alors tant pis. Peut-être vais-je rater une conversation. Je m’en moque, rien d’important ne peut parvenir de mes collègues. Rien qui m’intéresse vraiment. Peut-être vont-ils se dire l’un à l’autre que je suis partie ailleurs, sur le ton de la plaisanterie. Ils pensent que je suis dans la lune. Le suis-je ? Où suis-je ? Je ne sais pas. Je sais que cela finira par se calmer lorsque je sortirai d’ici.

Sur le chemin du retour, jusqu’à l’hôtel, je me fais silencieuse. La lumière du restaurant n’est plus, le bruit n’est plus, je suis comme évaporée, une coque vide qui se recharge. Mon regard vagabonde sur mes pieds, parfois au ciel. Je traîne, à l’arrière, suivant mes deux guides car je ne peux penser à l’itinéraire. Ils tentent de communiquer mais mes réponses sont concises et ne s’y prêtent pas. Ils abandonnent.

Me voilà dans la chambre. Plus un bruit n’est perceptible, mais de légères acouphènes me rappellent le mur. Comme pour me rassurer, je parle à haute voix. Je me pose des questions. Sur ce que je suis, sur ce que je pense, sur ce que je m’apprête à écrire. Certaines phrases n’ont pas de sens, d’autres en ont trop. Certaines questions sont embarrassantes et remettent en question ma situation. Ai-je fait les bons choix, toutes ces années ? Un craquement retentit, comme une porte qui s’entrouvre. Je sursaute. Ce n’était rien.

head