Je n’aime pas, ou plus, le terme transgenre. Il se comprend comme passer à travers, passer outre, le sexe d’assignation – sous-entendu vers l’autre sexe social – mais est utilisé pour désigner n’importe quelle transgression à la norme sociale du sexe d’assignation. Dans cette optique, autant les butchs, les folles, les drag, les travestis – et j’irais jusqu’à pointer celles et ceux surjouant la féminité ou la virilité – correspondent à cette définition. Est-ce bien ce que l’on cherche ? Quel est l’objectif d’avoir une définition propre à désigner spécifiquement les personnes passées de l’autre bord de la perception genrée ? Leurs besoins sont-ils similaires ? La réponse est non.

Ces transgressions, lorsque revendiquées comme telles, s’accompagnent régulièrement d’une volonté de ne pas obtenir de transition physique – parfois armée de contre-arguments fallacieux tels quel “vous êtes privilégiéEs car je ne pourrai jamais obtenir de physique correspondant à mon genre”. Sur cette phrase entre guillemets, un léger aparté : il y a ici une confusion évidente entre le genre défini comme norme sociale et comme outil d’expression grammaticale de son ressenti. Et c’est précisément car ce qui est ici appelé genre n’en est pas qu’il ne correspond à rien de social. Une confusion qui, en plus de créer une souffrance n’ayant pas d’objet, se concentre sur les mauvaises cibles. On en vient alors à parler de “privilège binaire”, une absurdité de compréhension qui profite à la domination cis.

Pour en revenir au sujet, la volonté de regrouper sous l’appellation transgenre des situations variées ne serait pas tant un mal s’il y avait une cohérence à cela. Les trans ne sont une entité unanime ni sur les convictions politiques, ni sur les raisons qui les poussent à transitionner. Seulement, ce changement d’inclusion soustrait au terme sa spécificité liée à la transition. De qui parle-t-on si l’on ne parle pas des personnes ayant entamé (ou ayant la volonté d’entamer) une transition ? Potentiellement tout le monde.

Je préfère le terme sexe social, auquel je donne une perspective de perception individuelle, que le mot genre auquel j’octroie davantage la fonction de norme collective. Loin de moi l’idée de désigner les organes génitaux par le mot “sexe” ni même de restreindre la transition à une opération précise, j’y vois simplement là l’occasion de dissocier les cases de l’oppression (le sexe) de cette oppression elle-même (le genre, donc) en me contentant donc de la définition systémique du genre, cela afin d’en éviter toute récupération.

Définir le genre sur la seule base du ressenti a le fâcheux travers de créer davantage de problèmes qu’il n’en règle en décorrélant l’oppression exercée sur le sexe de la perception sociale. En somme, en sous-entendant discrètement que la misogynie touche aussi, de manière plus ou moins égale, les hommes. Brandir le ressenti comme seul rempart à la division sexuée me pose donc de gros problèmes éthiques. Par la même, cela induit que la transphobie peut être vécue indifféremment, peu importe le physique de la personne (le passing précisément), ce qui est absolument faux. De plus, cette volonté de créer de nouvelles identités sans se pencher sur leur instrumentalisation par les structures du pouvoir me fait me poser la question de leur intérêt intrinsèque.

Au terme transgenre, je préférerai donc celui de transsexuelLE – que je vois comme un affront à la division sexuée – voire celui de trans qui, bien que générique, permet de lier les différentes approches et donc de faciliter la compréhension avec son interlocuteur ou interlocutrice. Le terme sexe a l’avantage de parler de manière plus ou moins équivalente à tout le monde – la nuance étant que certaines personnes le rapprochent des caractéristiques sexuelles primaires et secondaires – que le terme genre aux définitions hétérogènes. Certes, beaucoup refusent aujourd’hui le terme transexuelLE, majoritairement car celui-ci vient d’abord de la psychatrie. Reprendre des termes de la psychatrie n’oblige pas à accepter le discours sous-jacent :  “dysphorie” est très en vogue auprès des personnes refusant “transexuelLE”. Je comprends les personnes refusant le terme pour elles-mêmes, beaucoup moins celles qui voudraient le bannir totalement. Encore moins en sachant que le groupe sur qui va retomber le poids de cette querelle interne est précisément celui utilisant le terme pour se définir.

Cette vision du genre se veut seule juge de celui d’autrui et l’insinue sur la base de leur apparence. Ainsi, n’importe quelle butch peut être pointée comme homme trans et n’importe quelle folle comme femme trans. Un sacré contre-progrès s’il en est, puisque la moindre subversion se voit récupérée, quitte à effacer l’individu et ses volontés politiques (et, oui, je dis “individu” exprès).

Pourtant, transgenre est un terme que, même si je le répudie aujourd’hui, j’ai utilisé moi-même afin de me sentir en premier lieu concernée par les problématiques trans sans n’avoir entamé aucune démarche, contrairement au terme transsexuelLE que je trouvais bien abrupt et limité. Raisons sur lesquelles je reviens donc aujourd’hui. De l’importance de différencier sexe (social) et sexe (caractéristiques sexuelles).

Si vous aimez l’archéologie vous avez remarqué deux articles au début de ce blog, mais je ne les supprimerai pas malgré mes opinions bien différentes aujourd’hui (principalement car, étant donnée ma visibilité, on s’en fout un peu). Je me disais alors fluide, et c’est précisément sur ce point que je vais revenir.

Cette vision du genre contraint insidieusement à s’accorder avec et à se placer dans une case sur la base de son ressenti. Mon ressenti de l’époque ? J’étais paumée. J’hésitais beaucoup à transitionner ou non, je me cherchais, mes envies changeaient jour après jour, tout cela cumulé à un handicap qui ne fait pas de moi la personne la plus stable du monde. À toutes ces questions, cette vision m’a apporté une réponse simple : mon genre est fluide. Une constatation prise comme une fatalité et qui a aggravé mon état pendant quelques mois. Alors que j’aurais aimé comprendre, on me lançait chaque jour que j’étais valide et légitime : sans doute devait-ce être vrai. J’y ai cru, et je m’en mords aujourd’hui les doigts.

Plus que le terme transgenre, je hais cette volonté d’écraser certains propos et volontés politiques. Le terme transsexuelLE est systématiquement pointé du doigt et les médias commencent à s’aligner pour le bannir. Les personnes l’utilisant sont donc critiquées, concernées ou non – avec une nuance ici, on obtient parfois un “toi tu as le droit” parfaitement absurde sous-entendant que ce n’est pas le propos qui est problématique mais son porteur. TranssexuelLE ne sert ici que d’exemple, mais on retrouve le même processus sur “femme devenue homme” ou lorsqu’une personne trans est mégenrée au passé. Des offuscations qui passent outre le fond, souvent bien plus problématique, parfois très intéressant. En somme, dès que transexuelLE est utilisé, une vague de contestations va s’abattre sur l’odieux personnage ayant commis l’affront, qu’importe la pertinence de son propos.

sigh