Je suis la pierre, l’érodée, celle qu’on entame à la pioche. Celle dont on éparpille les morceaux comme un puzzle à la crèche. Celle à la mousse flétrie et aux parois lézardées. Celle aux gravats feutrés et aux gisements déjà pillés.
Un début mais pas de fin, comme une damnée qu’on écorche. Dans la boue prise par le col, tue jusqu’à la moindre miette. Des miettes de moi à écraser, la voix restreinte aux murmures. Les lumières se sont éteintes, reste plus qu’à raser les murs. Les sourires raréfiés et les regards se sont armés. Contrainte à la pointe des pieds, j’en ai bandé des foulures.
La bataille s’est faite rurale et ma guerre intestine. Change de trottoir, prend l’allée et la sueur dégouline. Des sueurs froides jusqu’à la nuque et peur de relever la tête. Peur des bancs, des groupes de jeunes, des écoles, des silhouettes. Peur de lâcher un objet, de regarder mon assiette. Peur de verrouiller les portes, d’être seule, d’être trop. Des couloirs, des tickets de caisse, du karting et des mots. Peur de respirer enfin, des bruits de pas et des mains.
J’ai dégluti mes rancœurs jusqu’à les vomir par terre. Pris les coups, les lames, les glaires, hoché la tête en chœur. Éteins mes vêtements, mes cheveux et ai masqué l’odeur. J’ai épongé le peu de sang et ai grandi plusieurs. J’étais celui qui chante juste, plus âgé et plus fort. Celui qui parle en allemand, qui écrit et moins mort. J’étais celle qui se confie, sait chanter et qui luit. Celle qui construit quelques jeux, sait répondre et sans fuir.
S’enfuir.
Et on a vidé ma tête comme évidé mon corps. Mes mensonges mis sous mon nez comme trophées qu’on arbore, le sourire en coin si fier de m’acculer encore. Les éclats de rire cachés dans mon placard en bois, mes crises de nerfs moquées et épiées pour distraire. Mes troubles internes dévorés comme un roman d’été, la soif nourrie chaque soir en fouillant mes affaires.
Les souvenirs des coups d’un corps, des séquelles à la pelle. Les coudes en ressorts magiques, les incisives en lamelles. Les claquements en fond sonore et les regards tournés, l’assemblée entière rivée sur la plante de leurs pieds. À ce cercle de complices, j’ai tourné les talons. Et pourtant maintenant si loin, tout est plus proche de mes gonds.